Il était tard, extrêmement tard. Minuit était passé et voici que la ville californienne rayonnait encore par ses milles et unes lumières commerciales, bougeait par les nombreux touristes, même les habitants y mettaient du coeur à animer cette ville. Boutiques, restaurants, salons de tatouages, immenses plages et fête foraine, comment ne pas vouloir passer son temps dehors même après que le soleil ait quitté la fête plus tôt. Le XXIème c'est un peu ça maintenant, la nuit ne terrorise pas, ne terrorise plus grâce à ces grandes lumières artificielles, ces commerçants qui vendent comme en plein jour. Ou presque comme, à un point près, les prix grimpent à une vive allure. Alors, si la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt, la soirée appartient à ceux qui se lèvent tard. Telle est la règle de vie, ici, en Californie. Plus besoin de culpabiliser de se lever à trois heures de l'après-midi, sous peine de ne plus avoir le temps d'aller retirer un colis à la poste, déposer vos CV.
Ce soir-là, c'était un soir totalement banal. La fête était au rendez-vous comme d'habitude dans les grandes villes de Los Angeles, les gens vont gagner leur argent le jour et vont le dépenser la nuit, inversement. Cependant, il y a bien encore des gens dans cette ville qui ne fonctionnent pas comme ça. Sans grands moyens, on trouve rarement la possibilité de partager cette folie de la consommation. Nao avait quitté son pitre travail d'esthéticienne, de coiffeuse, dans une institut qui tenait par de vieux murs recouvert de mille et une décoration pour cacher sa misère. Comme les gens-ici, qui vont se ruiner dans les casino, boutiques pour se faire valoir, alors qu'ils n'ont pas un sou. Mais revenons à Nao, cette belle latina, qui avait quitté son travail comme d'habitude, le trousseau de clef sous la main. Elle ferma boutique devant puis enfin derrière et se précipita pour monter à l'étage, des escaliers tremblants en ferraille, rouillés et cachés dans la ruelle humide et plongée dans l'ombre des boutiques voisines, de la rue parallèle. Elle ne resta pourtant pas bien longtemps chez elle, juste le temps d'annoncer à son amie qu'elle s'en allait à la plage, de ne pas l'attendre sous peine de rentrer tard. Après tout, il n'était encore que vingt-trois heures. Alors elle attrapa son sac à dos en toile ; serviette, cannettes et barre de céréales, voici ce qu'il contenait.
Elle était partie, empruntant un bus nocturne – plus un car qu'un bus au final - de Los Angeles qui l'emmena à l'entrée de la partie de la ville la plus active, la plus cotée. A peine descendue du bus, la grande fille se mit à marcher d'un pas très décidé avec ses écouteurs dans les oreilles.
I told you I was trouble
You know that I'm no good*
Les mains dans les poches hautes de sa veste en daim couleur camel, ses yeux bleus fixaient le moindre passant de sexe masculin, il faisait nuit, il pouvait tout arrivé à une jeune fille de son âge et d'une telle beauté. Alors elle prenait bien le temps d'observer, voir ce qui l'entourait. On était jamais trop sûr de nos jours, vous savez. Elle avait une tenue correcte, quoi qu'un peu originale, mais correcte, surtout qu'ici… On est en Californie, il fait chaud et mince alors, y avait la plage à cent mètres de là, les filles peuvent se balader en petit maillot de bain et les jeunes hommes le torse nu. Alors croyez moi, elle était bien couverte pour une fille de son âge à Los Angeles. Vêtue de sa veste camel - dans le style d'une coupe d'une veste en jean -, un haut vert pomme côtelé lui arrivant au-dessus de son nombril avec un col en V profond. Accordez cela à un jean déchiré et des chaussures plates, de style basket, toute rose. N'allez pas hurler au «fashion faux pas», elle s'en fichait bien et s'éclatait avec tous ses vêtements, toutes ces modes qu'elle jugeait de conformistes. Elle se réconfortait dans l'idée d'avoir de l'originalité, mais aussi, de plaire à une communauté spécifique et décontractée sur les réseaux sociaux.
Une fois arrivée devant la plage, elle détacha un premier écouteur de son oreille percée par de multiples trous et fixa alors la grande fête foraine animée mais excessivement bruyante, pleine à craquer de gens et surtout rejetant une odeur à dix kilomètres à la ronde de sucre, c'était abondant dans tous les sens et elle avait horreur de ça. Elle qui voulait respirer la mer, sentir le vent marin sur son visage et entendre les oiseaux dans le creux de son oreille, sentir l'eau salée caresser sa peau douce et tout cela, dans la plus grande des tranquillités… Pour le moment, c'était bien raté mais Nao avait plus d'un tour dans son sac, sur sa quatrième année en Californie, elle s'y connaissait et la mer ne lui faisait plus bond. Elle n'allait soit pas avoir la tranquillité ce soir mais elle allait tout de même pouvoir aller profiter de l'eau, du sable de cette immense plage.
La fête foraine était surélevée au-dessus de l'eau par une installation en bois solide, faisant office de sol artificiel. Ne laissant pas trop place à une immense installation, si vous tombiez par-dessus les rampars, c'était soit le crâne fracassé contre les rochers présents en dessous de l'eau encore trop peu profondes soit vous ne saviez pas nagé et c'était la panique. Dans le meilleur des cas, nous en sortez indemne car vous savez vous servir de vos bras, de vos jambes pour approcher le rivage. On se demande tout de même comment tout cela peut tenir sur cette installation en bois, toutes ces choses pesaient des tonnes et des tonnes ! Nao se posait toujours cette question et se demandait aussi quand est-ce tout cela allait tomber, se casser la figure dans l'eau avec tout ce beau petit monde… A cette idée-là, elle sourit et rit presque toute seule. Mais pas le temps de rêvasser, elle alla en courant vers une échelle qui menait sous le terrain de la fête foraine. Ici, il n'y avait personne et même si le risque était de rentrer nez à nez avec un cadavre, eh bien, il n'y avait pas grande chance de croiser quelqu'un.
Comme à son habitude, Nao prit le temps de retirer ses vêtements afin d'être en maillot de bain. Un maillot de bain une pièce, en damier noir et blanc. Dans son sac, elle y mit tous ses vêtements et chaussures, ainsi son téléphone et son trousseau de clefs, ses cartes. Une fois cela fait, elle attacha vulgairement ses cheveux immensément longs en hauteur. Elle était prête maintenant à plonger dans l'eau. Mettant son sac à dos sur son épaule, elle descendit cette échelle qui menait directement sur de beaux rochers gris, et c'est avant de s'approcher de l'eau qu'elle déposa son sac à dos sur les rochers qui ne risquaient pas de tomber en contact avec l'eau, les vagues. Ses écouteurs sur les oreilles et son appareil musical entre ses seins, elle était prête à tomber dans l'eau, à savourer cette instant de liberté, de détente. D'un pas tranquille mais réfléchi, glisser et tomber serait réellement fâcheux.
Assise sur le dernier rocher, celui le plus au bord, elle plongea une jambe puis deux et enfin, se propulsa dans la profondeur de l'eau en se soulevant à l'aide ses bras. Le sourire aux lèvres, Nao ressemblait à un animal qu'on aurait retiré de son lieu de vie naturelle depuis des années et qu'on remettrait de temps en temps, afin de préserver le moral de ce dernier. Cela faisait peut-être d'elle une sorte de sirène ? La Petite Sirène serait alors peut-être une jeune fille colombienne aux cheveux bruns plutôt que rouges ? Non bien sûr… Ou peut-être serait-elle la fille de cette Petite Sirène ? Elle aimait se réconforter dans cette fiction stupide pour enfants, en même temps, qui n'aime pas se réconforter dans la fiction ? Ne serait-ce que les éventuels événements de notre vie qu'on aimerait modifier ou ne l'on prévoit dans un certain ordre de déroulement dans le futur… Bien sûr, tout cela ne serait que du doute, de la supposition, du faux, de l'éblouissement. On revient très souvent à la réalité, toujours trop brutalement, et la réalité fait mal. C'est bien ce qu'il se passait pour Nao, à chaque fois qu'elle sortait de cette eau pour voir des gens aller et venir dans des rues commerçantes, des hommes faisant la manche au bas des boutiques les plus riches mais rapidement chassés, la nourriture jetée et gâchée, tous ces animaux errants, des êtres vivants brutaux qui s'arrachent la vie pour vivre une vie différente.
Alors, autant nager pendant des heures et des heures, sans jamais vouloir s'arrêter. N'écoutant pas son corps, elle écoute son cœur. Se fichant bien des crampes, des courbatures, de ses muscles chauffant et grimaçant par l'effort dont ils sont soumis. Nao voulait nager et se libérer, puiser dans ce mal-être physique son bien-être psychologique, spirituel. Alors, elle nageait plus loin, toujours plus loin sans se soucier de rien. Des vagues il y en avait, mais pas vraiment violentes, il y en avait eu des plus violentes auparavant, la nuit qui précédait celle-ci par exemple. Nao se battait contre ces vagues, ce n'était que de l'eau, mais elles étaient combattantes et persistantes. La belle appréciait ça, non pas qu'elle appréciait se battre contre la nature et ses obstacles, mais elle s'en servait comme représentation de ses tourments, de son état psychologique instable. Comme un boxeur qui tapera aussi fort que possible dans sa cible pour se vider de sa haine, pourtant, il n'a rien contre son propre matériel.
Nao finit par se décider d'arrêter de nager, elle se mit sur le dos et fixa le ciel, bougeant toujours ses pieds pour défier le courant de la mer qui pourrait l'emmener bien trop loin pour elle. Le ciel était magnifique, pour elle, cette sombre profondeur et ses lumières brûlantes, elles avaient un sens et plus qu'un sens scientifique. C'était spirituel. Elle savait que les gens, de nos jours, étaient de plus en plus détachés de tout ça, du spirituel et des forces extraterrestres. Alors, c'était seule qu'elle avait se ressourcer. Admirant cette Création qu'elle priait tant. Toute cette éducation c'était grâce à sa famille, sa mère mais surtout sa grand-mère, dont elle du prendre soin jusqu'à sa mort. Nao repensait souvent à sa grand-mère à la vue de ces étoiles, penser à elle était toujours douloureux, à ses yeux, elle a toujours été une femme de courage et de respect, un exemple, une admiration totale pour cette femme qui a su se battre dans cette soirée. Elle se disait qu'elle était là parmi ces étoiles, alors, de sa main, elle cacha les lumières de la ville pour mieux apercevoir le ciel. Un ciel couvert par tous ces feux artificiels, elle n'arrivait pas à croire que l'Homme arrivait à cacher des millions, des nombres infernales d'étoiles dans le ciel juste par toutes ces lumières électriques. Elles étaient là, ces étoiles étaient toutes là, mais on ne les voyait pas… Les plus téméraires étaient visibles, se faisant presque voler la vedette par les avions qui passaient de nuit.
Relaissant son bras tomber lourdement dans l'eau, elle souffla et ferma ses yeux. La colombienne resta alors ainsi pendant un long moment, commençant à chantonner une vieille berceuse découverte dans un de ses films préférés Le Labyrinthe de Pan par Guillermo Del Toro, une magnifique berceuse chantait par un des protagonistes de l'histoire. Mercedes. Un film qu'elle avait découvert sur le sol colombien, dans une vieille boutique d'un gars qui était presque un oncle pour elle puisqu'il était presque un ami proche pour sa mère. Comment dire, de toute façon, là bas... C'était une immense famille et tout le monde ouvrait ses portes à tout le monde. En bref, il tenait un cyber, les petits venaient souvent regarder les films sur la petite télé mise à disposition. Nao faisait parti de ces enfants, elle appréciait regarder la télé, jusqu'à ses quinze ans - donc avant son départ en Californie - elle venait se poser dans cette boutique pour regarder des films, des vieux, même des très vieux films mais aussi des nouveaux, comme celui-ci! Oh, elle devait bien avoir dix ou onze ans quand elle a vu ce film... Marqué dans sa mémoire de jeune à l'imagination débordante.
* You Know I'm no Good, Amy Winehouse