Un vieux manoir était dressé au centre d’un énorme terrain vague. Visiblement, l’herbe n’avait pas été coupée depuis très longtemps… Trop longtemps. En effet, celle-ci était des plus mal entretenues. La chaleur torride de la Californie l’avait jaunis à certains endroits. Alors qu’à d’autres, les mauvaises herbes étaient maîtresses. Il y avait énormément de travail en vue pour refaire de ce terrain une beauté… Dans le cas ou un tel miracle aurait été envisageable.
Cette propriété était entourée d’une large bande d’arbres, obscurcissant ainsi l’endroit. Tout pour rendre le lieu encore plus lugubre… Eh bien évidemment, Lucky avait choisi une heure tardive pour explorer les lieux. Toutefois, l’animal n’y portait pas vraiment attention. Il avait vu des endroits plus effrayants dans sa vie. Et pour dire vrai, il ne croyait pas aux fantômes et aux autres sottises de la sorte. Il n’avait même jamais envisagé l’idée.
Un long chemin en roche arrondie reliait l’habitation à la rue principale. La verdure commençait tranquillement à prendre le dessus. Le vert cachait les pierres, se faufilant discrètement entre ces dernières.
La façade de la maisonnée aurait fait frissonner n’importe quel humain. Certaines vitres étaient cassées de façon à nous laisser voir à l’intérieur alors que d’autres étaient couvertes de planches de bois.
Après avoir marché le long du chemin de pierre, la bête monta les marches de briques afin d’entrer à l’intérieur. Une fois devant la porte, la façade du bâtiment était des plus imposantes. Il se sentait petit comparativement à ce monstre de briques.
Du museau, il poussa la porte qui était entrouverte et entra. À l’intérieur, il n’y avait rien qui pouvait faire à croire que l’endroit était hanté. La maison était mal en point comme n’importe quelle autre maison qui aurait passée tant d’année sans soins. Dommage. Cette maison aurait pu se vendre à un énorme prix.
Alors que Lucky s'apprêta à monter à l’étage, il entendit un grincement à l’entrée de la maison. L’habitation avait beau être vielle, elle ne possédait certainement pas quatre pattes dotées de griffes.
Des pattes qui écrasent l'herbe, dans cet état misérable presque aussi avancée que leur possesseur, deux yeux gris vitreux qui errent comme deux lucioles perdues dans l'obscurité. Un pelage marbré qui ondulait comme un linceul. L'hybride a faim. Il a toujours faim. Les misérables ont toujours faim: l'herbe a faim d'eau, d'ombre, de pitié. L'hybride a faim de chair, de violence et de douleur, l'hybride a faim de vengeance. Le manoir a faim, à défaut de pierres pour remplacer les graviers et de vitres pour remplacer les débris, de spectres, de revenants et de fantômes. Les fantômes ont faim de peurs, de proies et de vendetta.
Peut-être que l'hybride est un fantôme, alors. Aux yeux d'un humain, tout du moins.
Tic tic tic.
Ce sont ses griffes qui prennent le relais quand il s'engage sur les pavés encore en état. Les poutres grincent, le vent siffle dans les fissures, les derniers bouts de tissu qui devaient faire office de rideaux s'agitent mollement, sans détermination. La lune projetait une lueur pâle et irréelle, parcourant le ciel pour poursuivre les ombres et les inonder à leur tour. Comme inconsciente que chacun de ses mouvements grignotait un peu plus l'une d'elles mais étendait une autre. Les ombres ne meurent pas: elles se déplacent.
Spectacle d'horreur, comme la scène d'une comédie farouche de feux follets qui dansaient aux murs, et qui s'étaient enfuis à la vue du canidé.
Ou des deux canidés.
L'odeur lui disait clairement quelque chose. Pas un souvenir très marqué, comme le furent ceux de sa mère, de l'humain qui lui jettait des poignées de croquettes à travers les barreaux de sa cage à l'animalerie, mais un souvenir. C'était une odeur de chien, mêlée à une odeur d'homme, de mâle, d'adulte et de flash-back fort désagréable. Peut-être le chien en face de lui avait quelque chose qu'il pourrait lui voler, souffla une petite voix sournoise dans un quelconque recoin sombre d'un des tréfonds de son cerveau.
Ce ne serai qu'une vengeance.
« Eh. »
Sans nullement se soucier si cet autre chien le reconnaissait lui aussi. Il se chargerai de le lui faire remarquer, dans le pire des cas.
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